Francis I to Louise de Savoie

14 septembre 1515

Madame, afin que vous soyez bien informée du fait de notre bataille, je vous avise que hier, à heure d'une heure après-midi, notre guet, qui étoit sur les portes de Milan, nous avertit comme les Suisses se jetoient hors de la ville pour nous venir combattre; laquelle chose entendue, jetâmes nos lansquenets en ordre, c’est à savoir en trois troupes, les deux de neaf mille hommes, et la tierce d'environ quatre mille hommes, qoe l’on appelle les enfans perdus de Pierre de Navarre, sur le côté des avenues, avec les gens de pied de France et aventuriers; et parce que l'avenue par où venoient lesdits Suisses étoit un peu serrée, et ne fut si bien possible de mettre nos gendarmes de l'avant-garde, comme ce étoit en plain pays, qui nous cuida mettre en grand désordre; et de ma bataille j'étois à un trait d'arc en deux troupes de ma gendarmerie, et à mon dos mon frère d'Alençon avec le demeurant de son arrière-garde, et notre artillerie sur les avenues. Et au regard des Suisses, ils étoient en trois troupes, la première de dix mille, la seconde de huit mille hommes, et la tierce de dix mille hommes; vous assurant qu'ils venoient pour châtier un prince, s'il n'eût été bien accompagné; car d'entrée de table qu'ils sentirent notre artillerie tirer, ils prindrent le pays couvert, ainsi que le soleil se commençoit à coucher, de sorte que nous ne leur fismes pas grand mal pour l'heure de notre artillerie; et vous assure qu'il n'est pas possible de venir en plus grande fureur ni plus ardemment. Ils trouvèrent les gens de cheval de l'avant-garde par le côté; et combien que lesdits hommes-d'annes chargeassent bien et gaillardement le connétable, le maréchal de Chabaunes, Ymbercourt, Telligny, Pont-de-Remy et autres qui étoient là, si furent-ils reboutez sur leurs gens de pied, de sorte avec grande poussière que l'on ne se pouvoit voir, aussi bien que la nuit venoit. Il y eut quelque peu de désordre; mais Dieu me fit la grâce de venir sur le côté de ceux qui les chassoient un peu chaudement, me sembla bon de les charger, et le furent de sorte, et vous promets, Madame, si bien accompagnés, et quelques gentils galans qu'ils soient, deux cents hommes d'armes que nous étions, en défismes bien quatre mille Suisses, et les repoussâmes assez rudement, leur faisant jeter leurs piques, et crier France! Laquelle chose donna haleine à nos gens de la plupart de notre bande, et ceux qui me purent suivre, allâmes trouver une autre bande de huit mille hommes, laquelle à l'approcher cuidions qui fussent lansquenets car la nuit étoit déjà bien noire. Toutefois, quand ce vint à crier France! je vous assure qu'ils nous jetèrent cinq à six cens piques au nez, nous montrant qu'ils n'étoient point nos amis. Nonobstant cela, si furent-ils chargés et remis au-dedans de leurs tentes, en telle sorte qu'ils laissèrent de poursuivre les lansquenets, et nous, voyant la nuit noire, et n'eût été la lune qui aidoit, nous eussions bien été empêchés à connottre l'un l'autre; et m'en allai jeter dans l'artillerie, et là rallier cinq ou six mille lansquenets, et quelques trois cens hommes-d'armes, de telle sorte que je tins ferme à la grosse bande de Suisses. Et ce pendant mon frère le connétable rallia tous les piétons françois et quelque nombre de gendarmerie, leur fit une charge si rude qu'il en tailla cinq ou six mille en pièces, et jeta cette bande dehors: et nous, par l'autre côté, leur fismes jeter une volée d'artillerie à l'autre bande, et quand et quand les chargeâmes, de sorte que les emportâmes, leur fismes passer un gué qu'ils avoient passé sur nous. Cela fait, ralliâmes tous nos gens et retournâmes à l'artillerie; et mon frère le connétable sur l'autre coin du camp, car les Suisses se logèrent bien près de nous, si près que n'y avoit qu'un fossé entre deux; toute la nuit demeurâmes le cul sur la selle, la lance au poing, l'armet à la tête, et nos lansquenets en ordre pour combattre; et pour ce que j'étois le plus près de nos ennemis, m'a fallu faire le guet, de sorte qu'ils ne nous ont point surpris au matin; et faut que vous entendiez que le combat du soir dura depuis les trois heures après midi jusques entre onze et douze heures que la lune nous faillit; et y fut fait une trentaine de belles charges. La nuit nous départit, et même la paille pour recommencer au matin; et croyez, Madame, que nous avons été vingt-huit heures à cheval, l'armet à la tête, sans boire ni manger. Au matin, une heure avant jour, prins place autre que la nôtre, laquelle sembla bonne aux capitaines des lansquenets, et l'ai mandé à mon frère le connétable pour soi tenir par l'autre avenue, et pareillement l'ai mandé à mon frère d'Alençon, qui au soir n'éloit pu venir, et dès le point du jour que pûmes voir, me jetai hors du fort avec les deux gentilshommes qui m'étoient demeurés du reste du combat, et ai envoyé quérir le grand-maître, qui se vint joindre avec moi, avec environ cent hommes-d'armes; et cela fait, messieurs les Suisses se sont jetés en leurs ordres, et délibérés d'essayer encore la fortune du combat: et comme ils marchoient hors de leur logis, leur fis dresser une douzaine de coups de canon qui prindrent au pied, de sorte que le grand trot retournèrent en leur logis, se mirent en deux bandes; et pour ce que leur logis étoit fort, et que ne les pouvions chasser, ils me laissèrent à mon nez huit mille hommes et toute leur artillerie; et les autres deux bandes les envoyèrent aux deux coins du camp, l'une à mon frère le connétable, et l'autre à mon frère d'Alençon. La première fut au connétable, qui fut vertueusement reculée par les aventuriers françois de Petre de Navarre. Ils furent repoussés et taillés outre grand nombre des leurs; et se rallièrent cinq ou six mille, lesquels cinq ou six mille aventuriers défirent avec l'aide du connétable, qui se mêla parmi eux avec quelque nombre de sa gendarmerie. L'autre bande qui vint à mon frère fut très-bien recueillie, et à celte heure-là arriva Barthélémy Delvian avec la bande des Vénitiens, gens de cheval, qui tous ensemble les taillèrent en pièces; et moi étois vis-à-vis les lansquenets de la grosse troupe, qui bombardions l'un et l'autre, et étoit à qui se délogerait; et avons tenu bute huit heures à toute l'artillerie des Suisses, que je vous assure qu'elle a fait baisser beaucoup de têtes. A la fin de cette grosse bande, qui étoit vis-à-vis de moi, envoyèrent cinq mille hommes, lesquels renversèrent quelque peu de nos gendarmes, qui chassoient ceux que mon frère d'Alençon avoit rompus, lesquels vindrent jusques aux lansquenets, qui furent si bien recueillis de coups de haches, butes, de lances et de canon, qu'il n'en réchappa la queue d'un, car tout le camp vint à la huée sur ceux-là et se rallièrent sur eux; et sur cela fismes semblant de marcher aux autres, lesquels se mirent en désordre, et laissèrent leur artillerie, et s'enfuirent à Milan, et de vingt-huit mille hommes qui là étoient venus n'en réchappa que trois mille, qu'ils ne fussent tous morts ou pris; et des nôtres j'ai fait faire revue, et n'en trouve à dire qu'environ quatre mille. Le tout je prends tant d'un costé que d'autre à trente mille hommes. La bataille a esté longue, et dura depuis hier les trois heures après midi jusques aujourd'hui deux heures, sans savoir qui l'avoit perdue ou gagnée, sans cesser de combattre ou de tirer l'artillerie jour et nuit; et vous assure, Madame, que j'ai vu les lansquenets mesurer la pique aux Suisses, la lance aux gendarmes; et ne dira-t-on plus que les gendarmes sont lièvres armés, car, sans point de faute, ce sont eux qui ont fait l'exécution; et ne penserois point mentir que par cinq cens et par cinq cens il n'ait été fait trente belles charges avant que la bataille fût gagnée. Et tout bien débattu, depuis deux mille ans ça n'a point été vue une sifière ni si cruelle bataille, ainsi que disent ceux de Ravennes, que ce ne fut au prix qu'un tiercelet. Madame, le sénéchal d'Armagnac avec son artillerie ose bien dire qu'il a été cause en partie du gain de la bataille, car jamais homme n'en servit mieux. Et, Dieu merci, tout fait bonne chère; je commencerai par moi et par mon frère le connétable, par M. de Vendôme, par M. de Saint-Pol, M. de Guise, le maréchal de Chabannes, le grand-maître, M. de Longueville. Il n'est mort de gens de renom qu'Imbercourt et Bussy, qui est à l'extrémité, et est grand dommage de ces deux personnages. Il est mort quelques gentilshommes de ma maison, que vous saurez bien sans que vous le récrive. Le prince de Talmond est fort blessé, et vous veux encore asurer que mon frère le connétable et M. de Saint-Pol ont aussi bien rompu bois que gentilshommes de la compagnie, quels qu'ils soient; et ce j'en parle comme celui qui l'a vu, car ils ne s'épargnoient non plus que sangliers échauffés. Au demeurant, Madame, faites bien remercier Dieu par tout le royaume de la victoire qu'il lui a plu nous donner. Madame, vous vous moquerez de messieurs de Lautrec et de Lescun, qui ne se sont point trouvés à la bataille, et se sont amusés à l'appointement des Suisses, qui se sont moqués d'eux. Nous faisons ici grand doute du comte de Sanxerre, pour ce que ne le trouvons point.

Madame, je supplie le Créateur vous donner très-bonne vie et longue. Ecrit du camp de Sainte- Brigide, le vendredy 14° jour de septembre mil cinq cent quinze.

François

      Source: Michaud et Poujoulat, Nouvelle Collection des Mémoires pour servir a l’histoire de France,
t. V (Paris, 1838), pp. 595-597.